La voleuse de campanules

Elle est presque noire, bien en chair et surtout déterminée. Elle attend avec impatience le retour de ses fleurs préférées. Il a les cheveux noirs, il est grand, réservé et déterminé . Il attend aussi avec fébrilité l’arrivée de ses fleurs préférées. Ils ont un seul point en commun, les campanules .

Lui les admire; elle, les dévore. Comment un animal peut-il choisir une section particulière de votre jardin et, comble du malheur, s’intéresser spécifiquement à votre plante fétiche? Difficile à croire mais c’est pourtant ainsi qu’une marmotte a décidé de mettre à l’épreuve les nerfs du jardinier responsable du jardin de pavots bleus aux Jardins de Métis.

À son retour au travail, début mai, le jardinier inspecte méticuleusement son jardin et installe une ou deux cages, sachant que l’année précédente, la bête avait fait des dégâts. Il y dépose des pommes, soit disant très alléchantes pour la marmotte. Elle n’est pas dupe. Pourquoi irait-elle se planquer dans une boîte en métal pour y manger des fruits plus ou moins frais, tandis qu’elle est entourée de végétation croustillante et, surtout, de campanules . C’est ce qu’elle aime, alors le jardinier les utilise en guise d’appâts.

Malgré ses talents de trappeur, notre jardinier n’arrive pas à la piéger : elle est futée. Il se tourne alors vers les répulsifs à base de poivre de cayenne. Ça fonctionne jusqu’à la prochaine irrigation ou pluie. Avant qu’il récidive, notre marmotte a réussi à s’empiffrer de plusieurs campanules . Et, tout au long de la saison, c’est la ritournelle. À l’arrivée de l’automne, notre voleuse disparaît. Le jardinier souhaite ardemment qu’elle ait plié bagage et déguerpi vers un autre jardin.

Mais au printemps suivant, la voilà de retour et, pire encore, elle n’est pas seule. Notre jardinier est au comble du désespoir. Les cages réussissent à la capture des jeunes, inexpérimentés. Le jardinier se charge d’aller les porter à au moins 20 km, distance minimale pour être certain que ces bêtes ne reviendront pas rôder dans les jardins. Ayant épuisé nos ressources et ne voulant pas priver les visiteurs des fleurs de campanules, il a fallu faire un choix difficile concernant l’irréductible animal. Nous avons consulté les agents de la faune et nous avons pris les dispositions nécessaires pour «déménager» définitivement la malheureuse.

Depuis, nos campanules s’en portent beaucoup mieux. Le jardinier peut enfin les apprécier, et le visiteur les admirer.